Thèse soutenue le 21 octobre 2024 pour obtenir le grade de docteur de l'Université Grenoble Alpes - Spécialité : Physique de la Matière Condensée et du Rayonnement
Résumé :
À pression atmosphérique, l'hélium-4 est liquide pour des températures inférieures à 4,2 K. Jusqu’à 2,17 K à saturation, il se comporte comme un liquide newtonien (He I), caractérisé par une viscosité extrêmement faible, de l’ordre de 2 × 10-8 m²/s. En dessous de 2,17 K à saturation, l'hélium entre dans une seconde phase liquide, l'He II, qui présente des propriétés remarquables : absence totale de viscosité dans certains types d’écoulements, conductivité thermique apparente extrêmement élevée, effet fontaine...
À ce jour, aucun modèle ne permet de décrire de manière exhaustive la dynamique de ce "superfluide".
Afin d'enrichir notre compréhension, cette thèse propose une étude expérimentale comparative de la turbulence en He II (ou turbulence quantique) avec celle en He I (ou turbulence classique). Dans la gamme de températures explorée (jusqu’à 1,6 K), l’He II est généralement décrit comme une superposition de deux composantes : une normale, newtonienne, et une superfluide dépourvue de viscosité et dont la vorticité est concentrée en filaments quantifiés. Les deux composantes sont couplées par une force appelée friction mutuelle. Malgré leurs natures intrinsèquement différentes, il a été rapporté que les turbulences classique et quantique ont des comportements similaires aux grandes échelles.
Dans notre expérience, l’écoulement est généré par l’oscillation d’une double grille (forçage inertiel tridimensionnel), dont la fréquence et l’amplitude peuvent être ajustées pour moduler l’intensité des fluctuations de vitesse. Deux approches complémentaires sont adoptées pour caractériser les propriétés de la turbulence. La première repose sur l’analyse des trajectoires en 2D et 3D des particules, reconstruites à partir d'images de l’écoulement capturées par des caméras rapides à travers les hublots du cryostat. La seconde approche examine l’amortissement d’une onde stationnaire de second son dû à son interaction avec les lignes de vortex quantiques dans l’écoulement.
L'étude des trajectoires nous a permis d’établir la loi d’échelle reliant les fluctuations de vitesse turbulente aux paramètres d’agitation, en accord avec celle rapportée dans la littérature. La caractérisation de la fonction de structure d’ordre 3 des incréments de vitesse longitudinaux, calculée à partir des mesures 3D, a confirmé la loi des quatre-cinquièmes. Nous avons ainsi pu estimer le taux de dissipation et en déduire l’échelle intégrale de l’écoulement. Nos mesures de la densité moyenne de lignes de vortex en fonction de l’intensité du forçage confirment la loi d’échelle rapportée dans la littérature : δ/L = ß Re-3/4. Grâce aux diagnostics croisés mis en œuvre, nous déterminons ß = 0,48 ± 0.01 avec une bonne précision, alors que seul un ordre de grandeur de cette constante était connu. On montre alors que l'intensité de la vorticité associée à cette échelle est en très bonne adéquation avec celle prédite par les mécanismes de cascade de Kolmogorov.
L’interprétation des mesures nous conduit à formuler un scénario des mécanismes de transfert et de dissipation de l’énergie en He II. Dans ce paradigme, l'énergie injectée à grande échelle se répartit indifféremment entre les composantes normale et superfluide jusqu’à atteindre l’échelle inter-vortex moyenne. À cette échelle, la force de friction mutuelle devient sensible et dissipe une fraction de l'énergie. Suivant la proportion restante, elle assure aussi le transfert de la composante superfluide vers la composante normale. Une nouvelle cascade se met alors en marche pour faire cascader cette énergie résiduelle et la dissiper aux échelles où la viscosité devient sensible.
Jury :
Rapporteur : Pierre-Philippe Cortet
Rapporteure : Luminita Danaila
Examinatrice : Léonie Canet
Examinateur : Mickaël Bourgoin
Examinateur : Giorgio Krstulovic
Directeur de thèse : Bernard Rousset
Co-directeur de thèse : Jérôme Duplat
Co-encadrant et invité : Pantxo Diribarne
Mots clés :
Turbulence, 4D-PTV, Hélium superfluide, Grilles oscillantes, Atténuation de 2nd son